Mis à jour le 31 janvier 2023

Architecture, transparence et végétal : zoom sur le siège du Groupe Rocher

Rencontre avec Jean-Paul Viguier, son architecte pour comprendre de quelle manière l’immeuble s’intègre dans l’espace urbain.

L’oeil de Raymond Depardon s’est promené sur la ville, en quête de bâtiments beaux, curieux, esthétiques, inspirants… Parmi les différents clichés présentés, celui du siège du Groupe Rocher attire le regard. Une bande végétale de 550 m² souligne les lignes du bâtiment qui, lui-même, s’intègre pleinement dans l’espace urbain.

 

Derrière cette oeuvre, il y a un architecte français, l’un des plus réputés à l’échelle internationale. Jean-Paul Viguier repense l’architecture en ville depuis les années 80. Il a travaillé sur une grande diversité de bâtiments : sièges sociaux, bureaux, logements et gares, musées, centres hospitaliers…

 

Le siège du groupe Rocher, l’immeuble Vega, s’étend sur 23 000 m², dont 2 200 m² d’espaces verts. Conçu en 2014 comme un bâtiment éco-responsable, il a été pensé pour réintégrer la nature en ville. L’architecte a travaillé avec la Ligue de Protection des Oiseaux afin de reconstituer un écosystème local ; les terrasses, quant à elles, ont accueilli des ruches d’abeille. L’immeuble profite également d’un système de géothermie et de panneaux solaires thermiques qui offrent une meilleure isolation et permet de couvrir une partie des besoins annuels en termes d’énergie.

 

Parlez-nous des projets que vous avez entrepris à Issy.
Jean-Paul Viguier : J’ai été successivement l’architecte du Parc André Citroën, du siège de France Télévisions à l’angle du boulevard Martial Valin, puis de son extension le long du boulevard à la culée du pont du Garigliano, j’ai été finaliste pour le concours du Ministère
de la Défense à Balard… Ainsi, pour moi, la limite de Paris s’efface derrière la continuité de la vallée de la Seine qui mène naturellement jusqu’à Issy-les-Moulineaux. Il n’était donc pas étonnant que je m’intéresse à ce site très particulier situé dans cette bande de terrain entre le tramway et la Seine, au droit de l’entrée sur l’île Saint-Germain. Il y était prévu la construction d’un ensemble de bureaux d’environ 50 000 m2 et d’une tour de logements de 50 m de haut, au bord de la ligne du tram. La plupart des immeubles construits depuis le périphérique jusqu’à la Route des Gardes étaient topo graphiquement installés parallèlement à la Seine, en façade sur le Quai de la Bataille de Stalingrad, interrompant de ce fait le mouvement naturel de descente des côteaux d’Issy vers le fleuve, et créant une opacité à la fois sur ces derniers et sur la Seine.

 

Qu’avez-vous souhaité développer à travers le siège du Groupe Rocher ?
J.-P. V.
: Le dessin que j’ai proposé pour le siège du Groupe Rocher installe les corps de bâtiment perpendiculairement à la Seine et à la route, rétablissant ainsi la fluidité de circulation et la transparence de la vue de l’un à l’autre. Le projet retrouve une profondeur permettant d’installer des jardins en alternance avec les séquences bâties. L’immeuble est habillé de métal blanc contenu par des lignes obliques qui délimitent des ouvertures vitrées, fermées par du verre sérigraphié aux motifs blancs. Il constitue un fond de perspective sur la rue du Passeur de Boulogne qui traverse tout le quartier. C’est la raison d’être du mur végétal qui en constitue le point de mire visuel mais aussi symbolique par son rappel à la nature, au vert si joli sur ce bord de Seine que l’on aperçoit de nouveau.

 

Pour vous, que représente la ville de demain ?
J.-P. V. : La ville est devenue le lieu de tous les désirs, elle doit faire face à l’afflux de nouveaux habitants toujours plus nombreux à la recherche d’une vie meilleure. La région parisienne a longtemps été dominée par le rôle primordial joué par la Ville de Paris. Entourée par sa banlieue, la capitale était le lieu unique des convergences, entraînant un déséquilibre endémique entre la ville centre et sa périphérie. La pression démographique et les nouveaux équilibres économiques doivent à présent se lire à l’aune du déploiement du réseau du Grand Paris Express dont les gares révèlent l’identité des communes et dont le tracé permet d’autres types de déplacements.

 

Et à Issy, en particulier ?
J.-P. V. : Ceci est particulièrement vrai à Issy-les-Moulineaux où la ville, en raison de l’originalité de son projet urbain et de l’audace dont son Maire André Santini a fait preuve à chaque occasion, était préparée pour tirer le meilleur parti de ce bouleversement urbanistique. Pour l’architecte, ceci est particulièrement motivant et j’ai à plusieurs reprises proposé des projets d’architecture pour manifester mon point de vue sur cet effort de développement : au centreville, sur les bords de la Seine et plus récemment dans le quartier Léon Blum autour de la future Gare du Grand Paris. Là, sous une arcature du viaduc du RER, à la demande de la Ville, j’ai bâti un petit pavillon d’exposition entièrement construit en bois massif lamellé-collé (CLT) et qui était une première dans la région parisienne. Depuis, cette technologie de construction qui permet de séquestrer le CO2 et de construire des bâtiments vertueux écologiquement s’est furieusement répandue.

 

Quels sont les autres projets ?
J.-P. V. : À Issy-les-Moulineaux, j’ai toujours à l’esprit que cette ville est en mouvement permanent et ce que j’y ai proposé est allé « plus loin » qu’ailleurs sur la forme, la technologie, l’architecture et la recherche du bienêtre. Mais aussi, ces propositions traduisent une sensibilité au site très particulier, à cette topographie originale qui relie le plateau de Meudon à la Seine à travers la forêt et les coteaux. Le projet que j’avais proposé pour le quartier Léon Blum illustrait cette possibilité de construire une ville moderne dans une ambiance, « de village », c’est-à-dire en lien avec la nature et l’histoire du lieu. Aujourd’hui, l’agence est en charge d’un grand projet, à l’angle du Quai du Président Roosevelt et du Pont d’Issy. Il s’agit d’un grand immeuble de bureaux, d’un type entièrement repensé, bordé par l’ancienne Halle Eiffel rénovée et réassemblée, qui va ajouter une pièce architecturale et urbaine en façade de la Seine : le siège mondial d'Orange à Issy-les-Moulineaux.