Mis à jour le 28 juillet 2022

Les voix des poètes mises en couleurs

La poétesse, peintre et traductrice Cécile A. Holdban a demandé à d'autres auteurs de lui transmettre des vers pour réaliser un patchwork de poèmes, mis en images sur des feuilles recyclées à partir de sachets de thé.
Copyright: Cécile A. Holdban

Cécile A. Holdban, qui avait ouvert en septembre la saison poétique et artistique de l’Espace Andrée Chedid avec son exposition « Constellations, mondes flottants, machines », a souhaité créer une oeuvre d’exception, composée de vers, tous illustrés par des peintures réalisées par ses soins.

Une fois rassemblés, ces poèmes et peintures forment une belle mosaïque de mots et de couleurs.

Comment vous est venue l’idée de ce projet ?



Cécile A. Holdban :  Il m’a semblé que c’était la seule possibilité qui s’offrait à moi pour avancer : tisser un lien malgré la distance entre cette communauté d’écrivains, d’artistes ou tout simplement d’amis, et dire ainsi en le recréant ce à quoi il nous est encore possible de rêver, d’espérer, malgré les circonstances. J’ai eu cette idée en écrivant un vers de mon cru sur un petit dessin que j’avais fait sur un sachet de thé rouge séché.

Je me suis dit alors qu’il serait beau de composer un patchwork en images de toutes les voix des poètes, comme une sorte de choeur…

Puis, j’ai pensé au titre d’un des recueils phares de Sándor Weöres, grand poète hongrois du XXème siècle, Tapis de chiffons, dans lequel on trouve une série de poèmes épigrammatiques. J’ai ensuite écrit un petit texte liminaire, envoyé à quelques poètes, à des amis, puis à d’autres encore…

Je me suis dit alors qu’il serait beau de composer un patchwork en images de toutes les voix des poètes.
Poème de Laure Morali, peinture de Cécile A. Holdban
Copyright : vers de Laure Morali, peinture de Cécile A. Holdban

Quelle « commande » avez-vous passée aux poètes et avez-vous eu beaucoup de retours?

C. A. H. : Voici le petit texte que je leur ai envoyé :

Tapis de chiffons

J’emprunte le titre de ce projet collectif au recueil de mon poète hongrois préféré, Sándor Weöres.

Voilà ce que je vous propose en ces temps de confinement, d’un chacun chez soi qu’il ne faut pas transformer en un chacun pour soi. Je réalise en ce moment une série de toutes petites peintures sur des sachets de thé recyclés. J’aimerais que, sur chacun de ces sachets devenu estampe, figure également un vers unique – comme faisait René Char sur ses galets ou ses écorces.

C’est là que vous entrez en jeu. Je souhaiterais que chacun m’envoie un de ses vers, un seul vers qui se suffise à lui-même et qui opère comme un antidote. Un vers qui nous relie à ce qui nous est provisoirement refusé. Un vers plein de vie, de force, de confiance et de lucidité. Pour, à la manière d’un cadavre exquis, composer un patchwork pictural et poétique. Comme une fenêtre toujours ouverte sur le monde.

J’ai eu des retours rapidement, ai pu commencer à collecter les vers et à peindre dans le même temps, et j’ai tous les jours continué d’envoyer quelques autres demandes…

J’ai aujourd’hui récolté environ 90 vers ou poèmes de personnes différentes, mais je continue à en recevoir.

Parmi les premiers collectés et peints, il y a ceux de poètes comme Jean-François Mathé, Jos Roy, Piergiorgio Viti, Antoine Boisclair, Laurent Albarracin, Etienne Orsini, Christian Viguié… Des voix très différentes les unes des autres. Il y aura aussi dans la série des poèmes en norvégien, en italien, en anglais, d’amis poètes plus lointains.

Avez-vous été surprise par les vers reçus ? Quels sentiments peut-on y lire selon vous ?

C. A. H. : J’ai été frappée par certains mots qui reviennent souvent. La figure du silence, du temps, de la lumière, les éléments de la nature très présents, pas forcément dans la métaphore, d’ailleurs. Puis, la mémoire, l’incertitude, l’espoir, le lien, le mot, l’écrit. Ce qui a trait à l’intériorité tout autant qu’à l’espace qui nous est refusé. Un peu comme une sagesse qui chercherait sa forme, en somme.

Parfois, de vraies fulgurances qui m’ont donné à méditer longuement et inspirée dans mes couleurs et mes propres mots. Une vision à chaque fois différente, complémentaire.

Un sachet de thé, ça ne doit pas être si simple de peindre dessus ? C’est un art qui relève de la miniature ?

C. A. H. : C’est un peu cela. Une fois vidées de leur contenu, dépliées, séchées, ces feuilles mesurent environ entre 7 et 10 cm, c’est donc assez petit… Elles sont souvent joliment colorées par les pigments des épices, herbes ou thés qui y ont infusé, fines comme du papier à cigarette, assez translucides, elles ont un bel aspect de papier Japon. J’ai dû expérimenter un peu et en déchirer certaines… Puis j’ai travaillé à l’instinct et avec tous les médiums que j’avais à ma disposition, crayons, fusains, encres, pastels, aquarelles, stylos, acrylique… J’ai souvent travaillé plusieurs feuilles en même temps.

Beaucoup pensé à la tonalité et à la musique du vers… Puis, une fois le dessin fini, j’ai écrit le vers correspondant et les initiales du poète.